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Livia Saavedra, Photoreporter humanitaire

02 novembre 2022 Portraits
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Diplômée de la formation Photographe Post production en 2002, Livia Saavedra a commencé sa carrière en documentant les raves illégales dans les années 1990.  Elle réalise ensuite des portraits pour la presse et des agences de communication. A partir de 2011, elle s'oriente vers la photographie humanitaire. Elle revient sur son parcours et nous livre les coulisses de trois de ses reportages. 

 

 

 

Vous avez été diplômée de Gobelins en 2002, mais vous avez commencé la photo avant cela, à la fin des années 1990.

Je faisais des photos des raves illégales du mouvement des free party. Tous les dimanches, j’allais développer les photos et faire des tirages chez un copain de ma mère, un ancien punk. Il me faisait écouter de la musique et regarder des films de Jim Jarmusch, il a fait une partie de ma culture de l’image.

 

J’ai couvert le mouvement de 1998 à 2001, c’est le projet que j’ai présenté au concours d’entrée de l’école. Je scanne tous les négatifs de cette époque-là depuis un an et je compte en faire un livre.

 

 

 

Teknival de Caen, mai 1999, Livia Saavedra 

Teknival de Caen, mai 1999, Livia Saavedra 



Comment choisissez-vous vos sujets ?

Je prends toutes les commandes qu’on me propose, c’est la règle, ne jamais refuser de boulot.

 

J’ai une sensibilité à tout ce qui est lié à la santé infanto-maternelle. J’ai travaillé pour WAHA International ( Women and Health Alliance International), une ONG spécialisée dans les fistules obstétricales, une complication post accouchement. J’ai également couvert pour eux la première épidémie d’Ébola en Guinée et la crise des réfugiés sur l’île de Lesbos.

 

Ensuite j’ai travaillé avec Médecins du monde, Action contre la faim et Première urgence internationale. C’est super de bosser avec des ONG parce qu’on a accès à des zones compliquées mais les règles de sécurités ont commencé à me peser et j’avais envie de me déplacer par moi-même sans avoir à demander d’autorisation à mon chef de mission.

 

J’ai donc repris des reportages en France et j’ai réalisé un sujet sur la fermeture des maternités dans les déserts médicaux dans le Lubéron et le Vercors.

 

J’appelle toujours régulièrement, le directeur de WAHA, Sinan Khaddaj, quand je suis à court d’idées.  C’est devenu une blague entre nous, ses suggestions sont généralement très payantes. C’est sur ses conseils que je suis repartie couvrir l’épidémie d’Ebola, au Congo en 2019 et que j’ai fait un reportage sur le tabou des règles au Népal.

 

 

 



Vous faites beaucoup de photo humanitaire, sur des sujets très forts, qu’est ce qui a motivé ce choix ?

Parce que c’est passionnant ! C’était aussi l’occasion de partir faire des reportages avec une équipe. Il m’a fallu beaucoup de temps pour avoir le courage d’aller seule sur le terrain. Il y a également une part d’aventure, d’adrénaline, je ne pourrais pas me contenter de travailler uniquement en France.

 

Ce que j’aime avant tout, c’est le chemin qu’on fait pour arriver jusqu’à la photo. Il faut trouver le bon contact, remonter une rivière pendant 10 heures en bateau, rencontrer les gens… C’est un formidable moyen d’ouvrir des portes qu’on ne nous ouvrirait jamais. Les gens se livrent plus facilement, ils sont fiers qu’on juge que leur histoire est importante.

 

 

 

Donner la vie dans un désert médical, Livia Saavedra 

Donner la vie dans un désert médical, Livia Saavedra 



Votre travail sur les femmes atteintes de fistules obstétricales en Éthiopie a été exposé au ministère des Droits des femmes à la demande de la ministre Najat Vallaud-Belkacem.

C’était mon premier reportage pour l’association WAHA international. On m’avait envoyée dans le nord de l’Ethiopie et j’étais relativement inconsciente à l’époque parce que j’étais partie avec un vieux 6X7 moyen format, un appareil énorme en argentique, je ne le referais plus jamais mais je trouve que ça fait partie des plus belles photos.

 

J’ai suivi Mulu Muleta, dans un hôpital éthiopien. C’est une des chirurgiennes les plus qualifiées au monde pour réparer les fistules, une complication qui résulte d’un accouchement prolongé, qui dure souvent plusieurs jours. Dans neuf cas sur dix, le bébé meurt et la mère se retrouve incontinente. En Ethiopie la plupart des femmes vivent à plusieurs jours de marche des hôpitaux. J’arrivais au moment de la fin de la souffrance de ces femmes, quand elles allaient être opérées.

 

Le reportage a été exposé au Ministère chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes, en présence de l’ambassadeur d’Ethiopie en France et de la ministre éthiopienne du droit des femmes. Najat Vallaud-Belkacem a remis la légion d’honneur à Mulu Muleta pour son travail.   

 

 

 

Une nouvelle vie pour les maudites, Livia Saavedra, 2011

Une nouvelle vie pour les maudites, Livia Saavedra, 2011


 
Vous avez reçu le prix IWPA pour la série « Ebola par temps de guerre » exposée la même année au festival Les femmes s’exposent, à Houlgate.

J’étais très fière d’être exposée au festival. Juste avant moi il y avait eu Laurence Geai pour son reportage sur l’Irak et Véronique de Viguerie. Ce sont deux grands noms de la photo donc j’étais très fière de passer après elles. L’exposition m’a permis de faire partie des « Lettres de photographes » d’Arte, sur l’épidémie de Covid 19 quelques mois après.

 

J’ai fait ce reportage dans la province de Beni, que mon fixer m’avait décrit comme la porte d’entrée de l’enfer. L’est du Congo est très dangereux, particulièrement pour les Congolais. Le nombre de personnes massacrées sur 1000 habitants est plus élevé que celui du Yémen au moment de la guerre. Il y avait environs 500 groupes armés dans la région, dont les ADF, les Maï-Maï, qui sont des enfants soldats, des groupes armés rwandais qui ont prêté allégeance à Daech…. Dès qu’on sortait de la ville il fallait vraiment être très prudent.

 

L’épidémie d’Ebola est arrivée dans ce contexte, elle était de nouveau mortelle à 90% des cas alors qu’en Guinée, Libéria, Sierra Leone en 2014 on avait entre 40 et 60% de chances s’en sortir. Très vite il y a eu des vaccins et des médicaments, mais à cause de la guerre c’était très difficile de contenir l’épidémie. C’est pour ça que j’ai appelé ce sujet « Ebola par temps de guerre ».

 

J’ai photographié les enterrements, les survivants. Je suis restée 22 jours sur place, au bout de 15 jours je n’avais quasiment aucune photo, ça s’est débloqué juste à la fin. Au départ on n’a rien et c’est en restant sur place et en tirant sur tous les fils qu’on construit le sujet. En général, les deux premières semaines sont ultra stressantes parce qu’on n’a pas ce qu’on veut. C’est un des reportages où j’ai eu le moins de chance. Tout ce que je voulais faire tombait à l’eau.

 

 

 

Ebola par temps de guerre, Livia Saadevra, 2019 

Ebola par temps de guerre, Livia Saadevra, 2019 



Vous venez de recevoir le grand prix « Les femmes s’exposent » sur la résilience pour un reportage sur les sages-femmes au Chili.

Je suis partie dans la province de Chocó en Colombie qui est complètement délaissée par l’Etat colombien et aux mains d’un cartel de drogue para militarisé.

 

Là-bas j’ai suivi des accoucheuses. Elles sont la seule chance pour les femmes d’avoir des soins au moment de leur accouchement. Comme elles aident à donner la vie elles sont unanimement respectées de tous les groupes armés et de leur communauté.

 

Elles détiennent un savoir ancestral, qui vient de l’esclavage ou des cultures indigènes. Elles ont une très grande connaissance des plantes et des techniques qui permettent de soulager les femmes. Quand elles voient que l’accouchement va être compliqué leur rôle est aussi de convaincre les femmes d’aller à l’hôpital parce qu’elles sont très réticentes à cette idée, beaucoup ne sont pas couvertes par la sécurité sociale colombienne.

 

Il fallait illustrer la résilience d’une personne ou d’un groupe. J’ai voulu montrer comment ces communautés s’étaient organisées pour pallier à l’inaction de l’Etat colombien concernant les structures sanitaires, comment elles ont mis en place un système de santé communautaire.

 

 

 

 Les gardiennes des communautés, Livia Saavedra, 2022

 Les gardiennes des communautés, Livia Saavedra, 2022



Quel est votre prochain projet ?

Je voudrais repartir en Colombie faire un sujet sur ce cartel de drogue mais j’ai les épaules trop petites pour le faire toute seule, il faut que je propose le sujet à un magazine.

 

J’ai aussi envie de me tourner vers la Moldavie. Il y environs 400 000 réfugiés ukrainiens là-bas, dont énormément de femmes qui ont subis des violences de la part de l’armée russe. Je voudrais faire un reportage sur elles. Maintenant il me reste à trouver le bon contact et le bon fil à tirer.

 

Je travaille  également sur un sujet au long court sur les veuves Yézidis, une communauté qui a été exterminée par daesh. Certaines ont été accueillies en France avec leurs enfants.

 

 

 

La guerre pour la paix en Colombie, Livia Saavedra, 2018

La guerre pour la paix en Colombie, Livia Saavedra, 2018



Un bon souvenir de vos années à Gobelins ?

C’était une formation super solide et j’adorais faire du labo et des tirages. On avait eu des cours de sociologie de la photo et je trouve que c’est fondamental, on nous a donné pleins d’outils qui ne concernaient pas que la technique.

 

 

 

Quel conseil donneriez-vous à un.e jeune diplômé.e ?

Il faut s’y mettre et n’écouter aucun conseil. Ce ne sont pas les meilleurs qui réussissent mais les plus endurants.

 

 

 

 

 

 

Interview par Sophie Jean 




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