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Débuter dans la photographie : les conseils de Roman Jehanno, photographe et vidéaste
Spécialisé dans la photo de paysage et le portrait, Roman Jehanno a reçu le Prix Hasselblad Master en 2014 pour sa série « Savoir-faire », publiée par la suite dans différents magazines (National Geographic, Fubiz, Réponse Photo…).
Son travail alterne entre séries photographiques, films documentaires et cadres conceptuels. Il a également travaillé sur « SÁMIS », un corpus cinématographique et photographique créé au sein d'une communauté indigène d'Europe du Nord ; « Leftover Lives », un récit spéculatif construit autour de photographies vernaculaires anonymes et « Alternative Irreality », une expérience exposant l'appropriation culturelle mise en œuvre par l'IA générative.
Outre diverses expositions, son travail a été publié dans National Geographic Traveler, The Washington Post, Réponses Photo.
Il nous livre son retour d’expérience et ses conseils pour démarrer dans la photographie.
Peux-tu me résumer ton parcours depuis la sortie de l’école ?
Ma carrière n’a pas démarré dès la sortie de l’école, on décroche rarement un contrat dès la fin des études.
J'ai démarché des agents, j’ai présenté mon book un peu partout mais j’ai quand même dû enchainer des petits boulots alimentaires. J’ai profité de cette stabilité pour multiplier les rendez-vous pros sur mes pauses et temps libres. Je voulais travailler dans la publicité donc je me suis créé un réseau petit à petit, grâce à une première connaissance qui avait fait une école de pub.
En parallèle, j’ai réalisé beaucoup de projets personnels. Ces séries m’ont permis de continuer à me former, d’ajuster mes compétences de lumière et de post production, et surtout de tester des choses.
Petit à petit j’ai décroché des contrats de plus en plus intéressants. Au début on est un peu d’obligé d’accepter des projets presque à perte, dans l’optique de continuer à apprendre, d’avoir des choses à montrer, de se construire un réseau. C’est avec le temps que j’ai pu progressivement ajuster mes tarifs.
Toutefois, tout le travail du monde peut ne pas suffire à lui seul. Il faut malgré tout une part de chance tout particulièrement dans ce métier où la concurrence est rude et l’apprentissage si long. Être entouré ou aidé est bien souvent ce qui permet de faire basculer une situation de la galère à la réussite.
Roman Jehanno - série "Savoir Faire" - Mitsue Nakamura
Quels moyens utilises-tu pour partager ton travail ?
Je pense que les réseaux sociaux sont malgré tout importants. Une des premières choses que les gens regardent c’est le compte Instagram. Pendant plusieurs années je n’y mettait que des stories du quotidien, depuis l’année dernière j’essaye de poster trois de mes séries perso de façon assez régulière.
Concernant le nombre d’abonné et l’intérêt de développer une communauté, j’ai encore l’impression qu’un compte à 100k fera basculer une compétition face à un photographe au travail équivalent mais sans followers.
J’ai évidemment un site internet qui me permet de structurer mes idées et mes projets.
J’envoie aussi une newsletter pour partager mon actualité et avoir un retour quantifiable sur mon travail grâce à l’analyse des nombres de clics. Je peux identifier les gens qui consultent mes contenus et ensuite leur proposer un rendez-vous.
Je fais aussi parti des derniers photographes parisiens à avoir un book papier ! Je trouve ça génial de voir son travail sur du papier. C’est un bel objet avec lequel arriver en rendez-vous avec des directeurs artistiques, des responsables photos, des iconographes, des achats d'art…
C’est de l’investissement, mais ça permet de faire un tri dans ses projets, de réfléchir à qui on veut s’adresser. L’impact du papier n’est pas le même, on revient dans le réel.
En ce moment je divise mon travail en 2 books, un pour mon travail pro et un autre pour mon travail d'auteur. Mais il faut souvent les réadapter en fonction de l’interlocuteur.
Roman Jehanno - "Samis"
Selon-toi est-il indispensable de travailler avec un agent quand on débute ?
En sortant de l'école, j’ai eu très rapidement une agente avec qui je m'entends très bien, mais ça n’a pas fonctionné, j'étais jeune et à l’époque on donnait beaucoup moins facilement des contrats à des vingtenaires fraichement diplômés, surtout en 2008 en pleine crise des subprimes, la prise de risque n’était pas vraiment au rendez-vous. Je pense que ça a changé depuis.
J’ai eu d'autres expériences mais le fonctionnement ne me convenait pas même si j’ai appris des choses grâce à chacune d’entre elles. J'ai commencé à effectuer le travail moi-même et à l'heure actuelle, c'est ce qui a été le plus efficace. J’aime aussi beaucoup le contact humain, rencontrer des gens, présenter mon travail.
Un agent prend une commission de 20 à 30% ce qui peut être difficile pour un photographe aux revenus aléatoires. Si on est déjà très proactif ce n’est pas toujours rentable.
En revanche si on est tétanisé à l'idée de présenter ton travail, qu’on a aucune notion de production ou un profil très auteur ça peut être tout à fait pertinent de prendre un agent.
Quoi qu’il en soit, une carrière met du temps à se développer, on ne peut pas aller trop vite, il faut prendre le temps.
Roman Jehanno - série "Clic Clac Kodak"
Comment organises-tu ton travail ?
Une majorité du temps de travail dans ce métier n’est pas directement rémunéré. Et on ne peut pas trouver de contrat rémunérateur sans ce travail en amont.
Même dans ces périodes de « off » il y a toujours une multitude de tâches de fond à traiter : la compta, répondre aux mails, démarcher des clients, chercher de nouveaux contacts, se tenir au courant de ce que font les autres, aller voir des expos, trier ses images, se former à d’autres aspects du métiers… et développer son travail personnel évidemment.
Comme dans tous les métiers créatifs, il faut aussi accepter ces journées où on n’arrive pas à travailler et les prendre comme des pauses nécessaires pour gagner en efficacité le lendemain.
Il y aussi tous les side projects qui peuvent paraitre insignifiants mais qui vont permettre de se challenger créativement et d’affiner ses connaissances.
Roman Jehanno - Alternative Irreality - Not Dorothea Lange - Migrant Mother
Comment as-tu trouvé un équilibre entre tes projets perso et tes commandes ?
Dès la sortie de l'école, j'ai eu le sentiment que les projets personnels c’était le nerf de la guerre. Je reste profondément convaincu que sans ces projets je n’aurais pas eu la carrière que j'ai.
J’ai consacré dix ans à ma série « Savoir faire » et c’est grâce à ces images que j’ai décroché des contrats qui m’ont permis par la suite d’augmenter ma capacité de voyage et d’enrichir mon travail.
Quand on discute avec des achats d'art, ils veulent voir ce dont on est capable quand on chapeaute un projet, ce qu’on exprime à travers nos images. Les créatifs ont besoin de se nourrir de ces projets.
C’est dans cette symbiose que je trouve l’équilibre intéressant, on crée un travail personnel libre de toute contrainte, ce qui inspire d’autres créatifs qui vont adapter notre démarche à des clients, et ces projets rémunérés permettent alors de financer un travail d’auteur personnel. C’est assez vertueux quand tout fonctionne bien.
Roman Jehanno - série "Savoir Faire" - Maïna Chassevent
D’après toi, quelles sont les principales erreurs à éviter quand on débute ?
La plus grande erreur c'est croire que les gens nous attendent. Il y a déjà pleins de photographes sur le marché, il faut savoir se démarquer, être proactif, ne pas attendre qu’on vienne nous chercher.
L’autre erreur serait de négliger la technique. Brassens disait « un talent sans technique n'est qu'une sale manie ». Travailler la technique c’est indispensable pour pouvoir s’en émanciper.
C’est aussi ce qui permet de se sentir plus légitime, de comprendre certaines problématiques de lumière, de perspective… Notre métier demande une vraie maîtrise, pas seulement une démarche artistique.
Roman Jehanno - série "Clic Clac Kodak" - Roland Garros
Quel est le conseil n°1 que tu aurais aimé avoir avant de te lancer ?
En y repensant, je crois que j’aurais gagné pas mal de temps si j’avais compris plus tôt que l’essentiel n’est pas de faire des images dans l’idée de séduire les influents du milieu publicitaire, mais de construire une écriture propre, dans une approche honnête et sans calcul.
Ce que cherchent les achats d’art, les créatifs, ce sont avant tout des regards singuliers, des écritures capables de tenir debout sans sur-intention.
Il faut évidemment être solide techniquement, connaître le langage du métier, ses hiérarchies, ses usages… mais cette écriture, je l’ai cherchée longtemps ; peut-être parce que j’avais trop envie de travailler dans la pub. Aujourd’hui, j’ai réussi à mettre de la distance entre cette envie-là et ce que je cherche dans mon travail d’auteur.
Roman Jehanno - série "Savoir-Faire-Sami"_Hilla-Rina
Aujourd’hui, de quoi es-tu le plus fier dans ton parcours de photographe ?
De réussir à vivre de la photographie ! Ça fait 17 ans que je fais ça, c’est un long parcours, je suis fier d’être toujours là.
Je suis super content des projets personnels que j’ai mis en place et de la trajectoire qu’a pris ma réflexion sur la photographie.
Dernièrement, les projets "Clic Clac Kodak" et "Alternative Irreality" m’ont vraiment permis de conscientiser ma pratique.
Le prix Hasselblad a marqué un vrai tournant. Il arrivait à un moment déjà charnière, puisque je laissais derrière des années de photo composite sur des thèmes de fiction pour partir vers Savoir-Faire.
Réussir à tourner un film sur les Sámis, recevoir des prix, le projeter à GOBELINS au printemps dernier…C’était une très belle boucle, si longtemps après être sorti de l’école.

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