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Entretien avec Jérémie Périn, réalisateur de “Mars Express"
Près de 7 ans après la série « Lastman », Jérémie Périn, (diplômé de la formation Dessinateur d'animation en 2000) retrouve son co-scénariste Laurent Sarfati pour un thriller de science-fiction cyberpunk, situé en 2220.
Aline Ruby, détective privée obstinée, et Carlos Rivera, réplique androïde de son partenaire décédé voici cinq ans, se lancent dans une course contre la montre à travers Mars. Ils doivent retrouver Jun Chow, simple étudiante en cybernétique en fuit, avant que les mercenaires assassins qui sont à ses trousses ne l'abattent.
Le film sort en salles aujourd'hui, pour l’occasion, Jérémie Périn a accepté de répondre à quelques questions sur la genèse de ce projet.
Comment l’idée de ce scénario est-elle née ?
Depuis le début, mon désir c’est de proposer des œuvres qui naissent de l’animation, qui ne soit pas des adaptations de bande-dessinées, de livres ou de jeux vidéo.
Je trouve que l’animation est très inféodée aux adaptions et en particulier aux adaptations de bandes dessinées. C'est pour cette raison que nous avons choisi avec Laurent Sarfati, le co-scénariste du film, d’écrire un scénario original.
Nous nous sommes demandé quels types de films nous manquait dans le paysage actuel du cinéma et nous nous sommes rapidement aperçus de l’absence de films de science-fiction crédibles.
La SF est toujours là mais elle est représentée par des films comme « Star Wars » ou les films de super héros qui penchent davantage vers une sf fantasy, magique. Nous voulions revenir à quelque chose de plus pragmatique.
Nous avons également constaté que le film de détective privé, le film noir, était un genre qui n’existait plus tellement. Nous avons mélangé ces deux genres et partir de là, nous avons déroulé le fil pour arriver à cette idée de détective sur Mars.
"Mars Express"
Comment fonctionne votre collaboration avec Laurent Sarfati (scénario) et Michael Robert (direction artistique) avec lesquels vous avez travaillé en trio sur quasi tous vos projets ?
Nous travaillons tous les trois un peu chacun notre tour.
Avec Laurent nous commençons avec les mots. Généralement l’un de nous deux arrive avec une idée et devient un peu la locomotive du projet. Ensuite nous discutons beaucoup ensemble, l’un ou l’autre attrape des idées à la volée pour les enrichir, les contredire jusqu’à aboutir à un début de pitch, qui est encore un peu fragile mais qui nous intéresse et nous permet de rentrer dans l’écriture.
Lors de cette première phase d’écriture, nous travaillons avec un grand tableau en liège, comme dans les films ou les séries policières, sur lequel nous collons beaucoup de post-it avec des idées séparées que nous relions ensuite avec des fils rouges comme pour une enquête.
Ensuite nous commençons à structurer le film en trois actes, en déplaçant des idées à l'intérieur, pour voir comment le film s’équilibre, quels sont ses défauts, quels sont les éventuels problèmes de structure. Ce premier format de scénario est assez acre, il n’y a pas encore de chair, de dialogues, ce sont surtout des suites d’actions.
Une fois le scénario validé par le producteur nous commençons à réfléchir à l’esthétique du film, à son design, aux visages des personnages, aux décors... C’est là qu’intervient Michael. Il s’occupe essentiellement du design des décors et parfois aussi des véhicules. Son rôle est à un mi-chemin entre le chef opérateur et le décorateur.
De mon côté, je m’occupe beaucoup des personnages et du storyboard, ce qui constitue encore une autre étape.
Jémémie Périn ©Alex Pilot
"Mars Express" aborde des thématiques très actuelles (l’IA, Elon Musk...) comment le réel a-t-il influencé le scénario ?
Pour essayer de créer un monde futuriste tangible, il faut partir de ce qui existe aujourd’hui et imaginer comment les choses pourraient évoluer.
On tire le fil du réel et, si on n’est pas trop à côté de la plaque, l’actualité va influencer l’écriture. Même si l’action se passe dans 200 ans.
C’est un peu ce qui s’est passé et ce que nous avons recherché. Nous ne parlons pas directement d’Elon Musk, il n’est pas nommé dans le film, mais nous avons écrit le scénario au moment où des gens comme lui ou Jeff Bezos parlait de quitter la Terre pour aller vivre sur Mars ou dans des stations spatiales. Ça nous a fait rire avec Laurent et nous nous sommes inspirés de ces fantasmes, et de tous les problèmes qu’ils impliquent pour créer la ville de Noctis.
"Mars Express"
Quels ont été vos références scénaristiques et graphiques pour le film ?
Nous avons beaucoup été chercher du côté du film noir et du thriller politique. Ce sont les deux genres que nous avons le plus revus et analysés du point de vue du scénario Laurent et moi.
Nous avons forcément été aussi influencés par la SF mais nous avons laissé tout ce qu’on connaissait nous traverser sans chercher à faire de clins d’œils ou de références en particulier.
En revanche c’était une volonté de notre part d’analyser la structure de films noirs comme « En quatrième vitesse » « Chinatown » « Qui veut la peau de Roger Rabbit », « Le Privé », « Les Trois jours du Condor », « Conversations secrètes » pour nous aider dans l’écriture du scénario.
D’un point de vue graphique, je ne réfléchis plus tellement en termes de références. C'est quelque chose que je faisais beaucoup au début, comme tout jeune dessinateur ou dessinatrice. J’avais cette angoisse de trouver mon propre style et je me démenais pour essayer de ne pas ressembler à tel ou tel dessinateur ou dessinatrice très connue.
C’est quelque chose que j’ai abandonné depuis longtemps. Maintenant je dessine comme je peux et puis voilà !
Mais mon style graphique n’est pas sorti de nulle part, il est le résultat d’influences diverses. Je pense qu’il s’inscrit dans un courant de l’animation japonaise type Akira, qui est elle-même sous le l’influence de Métal Hurlant.
"Mars Express"
“Mars Express” a été dévoilé en avant-première à Cannes et sélectionné à Annecy en compétition officielle, est-ce une consécration pour vous ?
Cannes, je n’y croyais pas tellement. C’était plutôt un désir de producteur ou de distributeur, pour pouvoir ouvrir le film à un public plus large, au-delà de l’animation.
J’ai terminé le film très peu de temps avant Cannes. J’ai passé 5 ans et demi sur ce film donc j’étais complètement dans un autre monde et d’un seul coup j’ai été téléporté à Cannes. Je n’ai pas très bien réalisé ce que ça signifiait mais c’était une bonne expérience.
Avec le festival d’Annecy, on est comme à la maison, c’est très agréable, très simple. Les spectateurs et spectatrices adorent l’animation, on se sent vraiment soutenus.
Le film a vraiment été chaleureusement accueillis par le public, ça fait très plaisir parce qu’on sait que c’est un regarde critique et pointu sur l’animation mais c’est aussi un public “acquis”. Il ne faut pas se reposer sur ces séances pour savoir sur le film va marcher par la suite.
"Mars Express"
Beaucoup d’anciens de l’école ont travaillé sur le film, était-ce une volonté de votre part ?
J’ai tendance à ne pas faire trop attention au diplôme des gens avec lesquels je travaille. Je regarde plutôt les bandes démo que les CV. Je recrute aussi mes équipes sur les conseils d’autres personnes.
Il arrive régulièrement que les gens que je croise et dont j’aime le travail viennent de GOBELINS et effectivement il y a beaucoup d’animateur.trices et de décorateur.trices qui viennent de GOBELINS dans l’équipe. C’est normal, c’est une bonne école, par laquelle beaucoup de gens du milieu sont passés.
Quelles sont vos envies pour votre prochain projet ?
J’ai une piste sur laquelle j’ai à peine commencé à réfléchir mais j’ai déjà embarqué Laurent avec moi.
Nous ne sommes pas encore dans la phase d’écriture. Avec la promo j’ai passé presque deux mois à faire des interviews et des avant-premières partout en France et ailleurs.
Nous n’avons pas encore eu le temps de nous voir, mais j’arrive au bout et on va pouvoir reprendre et peut être prendre des vacances !
"Mars Express"
Quel conseil donneriez-vous à nos jeunes diplômé.e.s en animation ?
Pour devenir réalisateur ou réalisatrice je pense qu’il faut à la fois élargir le spectre de ses capacités au maximum en travaillant sur pleins de choses différentes (storyboard, animation, décors...), pour bien connaitre tous les métiers constitutifs de l’animation, et continuer à travailler sur ses propres projets.
Il vaut mieux travailler sur des formats courts, que l’on peut contrôler, et il ne faut pas hésiter à les montrer à ses proches. Je n’osais pas montrer mon travail par timidité. Ça ne sert à rien si on reste dans son coin, il faut montrer son travail pour avoir des retours. C'est comme ça qu’on peut faire bouger les choses et gagner la confiance des producteurs ou des directeurs de studio.
Interview par Sophie Jean
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